ÉPILOGUE
Ils ont quitté la maison-au-creux-de-l’arbre, et Fayano Bundadaya, derrière eux, n’est plus qu’une petite tache verte sous le ciel brûlant. Ils marchent ensemble, l’enfant et le vieillard aveugle, sur le chemin qui mène à la cité de pierre. Aujourd’hui, Oningu a onze ans.
La main rugueuse de Aru Barani est crispée sur l’épaule de son petit-fils. Ce contact est leur dernier contact. Deux êtres sont sur le point de se séparer. L’un va commencer sa vie d’homme, l’autre va achever sa vie. L’un apprendra à devenir un manga ; l’autre entamera son Kamunga Ikoda. Mais il n’y a nulle tristesse dans leur cœur. L’enfant est trop jeune pour songer à l’éloignement engendré par la mort, le vieillard est trop sage pour le craindre.
Le soleil est chaud et fort. La terre est sèche. Les pas d’Oningu et de son grand-père soulèvent des nuages de poussière sur la route escarpée. Venant du haut plateau basaltique, quelqu’un marche à leur rencontre. C’est un homme maigre et pâle vêtu de la robe des mangas. Il paraît jeune, mais ses cheveux et sa barbe sont aussi blancs que la neige du Limbu. Son bayungui est orné de huit cercles étincelants. Oningu est émerveillé de rencontrer un Naa Makané. Il chuchote à son grand-père :
— Oh, si tu pouvais voir cet homme ! Il y a une telle lumière autour de lui…
Le vieillard sourit. Lui aussi a perçu l’aura. Pour connaître cette lumière-là, il n’est pas besoin d’yeux.
Oningu parle timidement à l’homme étrange qui s’est arrêté devant lui :
— Bonjour…, Makané. Je vais à Faya Nubangui avec mon grand-père ; pour essayer d’être un manga ! Vous revenez de la cité de pierre ?
— Oui, j’en reviens. Je suis allé là-bas annoncer la naissance de mon fils et le nom qu’il a reçu en premier baptême.
— Mon grand-père dit que c’est un grand bonheur d’avoir un enfant.
— Ton grand-père a tout à fait raison, c’est un grand bonheur…
Aru Barani serre un peu plus fort l’épaule d’Oningu et demande :
— Quel nom avez-vous choisi pour votre fils ?
— Tofaringa. Il s’appellera Tofaringa.
L’homme pâle leur adresse un geste d’adieu et s’éloigne en direction de Fayano Bundadaya. Oningu est tout excité.
— Ça alors ! Je n’ai jamais vu quelqu’un comme lui ! Il a les yeux clairs et la peau blanche, et on dirait qu’il brille, et…
Aru Barani éclate de rire, serre son petit-fils contre lui et murmure à son oreille :
— Tu ne l’as pas reconnu ? Tu ne te souviens plus de Bunda Yungui ?
L’esprit de l’enfant est soudain envahi par les images confuses d’un vieux rêve, un rêve d’arbre couvert par des pommes d’or et de soleil.
Mais déjà Aru Barani a recommencé à marcher. Il appelle son compagnon :
— Dépêche-toi, lambin ! Tu vas être en retard ! Oningu rejoint en courant le vieil aveugle. En ce matin d’un jour aride et poussiéreux, ils s’en vont tous les deux vers la cité de pierre…